- MESURES (économie)
- MESURES (économie)En tant que discipline intellectuelle susceptible de donner naissance à un corps théorique, l’économie fait l’objet de définitions variées et parfois contradictoires. Ces définitions, et les développements qui en résultent, ont au moins en commun la nécessité d’observer – pour en proposer une interprétation rationnelle – un certain nombre de phénomènes sociaux. L’observation peut être, dans certains cas, purement qualitative, par exemple: «Les prévisions économiques des industriels sont-elles plus optimistes ou plus pessimistes ce trimestre que le trimestre précédent?» ou bien: «Tel pays est-il industriellement plus, ou moins, avancé que tel autre?» En fait, l’approche qualitative demeure limitée, l’enrichissement de l’observation économique passe par une mesure des phénomènes, en ce sens qu’on cherche à les traduire par des chiffres, à les quantifier.En s’efforçant de quantifier des phénomènes liés au fonctionnement des sociétés humaines, on pose en même temps, de façon particulièrement aiguë, le problème de la neutralité de la mesure. La diversité, qui peut aller jusqu’à l’incompatibilité des théories économiques existantes, est une première raison de douter a priori de cette neutralité; de même qu’en physique il est bon d’accompagner le résultat d’une mesure de la description des conditions dans lesquelles elle a été faite, il est hautement souhaitable de chercher systématiquement à expliciter les hypothèses sous-jacentes à toute mesure économique, même si elles paraissent relever du simple bon sens et sont très largement acceptées par la collectivité des utilisateurs des résultats.Les mesures, en économie, prennent des formes variées: niveaux absolus, proportions ou structures à un instant donné ou indices d’évolution au cours du temps. De même, les unités de mesure peuvent être assez diverses selon ce qu’on veut observer et la logique théorique qui préside à cette observation. Certes, dans nos sociétés dominées largement par l’échange marchand, les mesures en unités monétaires occupent la première place. Elles ne sont cependant ni les seules possibles ni les meilleures dans tous les cas; des mesures en équivalents énergétiques, ou bien des mesures en équivalent-travail, peuvent, par exemple, être mieux adaptées à la mise en évidence de certains phénomènes économiques.1. La nécessité de quantifierLa question de la légitimité d’une «mesure», c’est-à-dire d’une expression des phénomènes économiques par des chiffres, peut sembler exagérément naïve. Qui, aujourd’hui, ne considère peu ou prou les économistes comme des hommes de chiffres? Il n’est pas moins évident que les différentes théories économiques, même les plus contradictoires, ont au moins en commun de postuler la mesurabilité des phénomènes qu’elles cherchent à expliquer.Pourtant, on ne doit pas oublier que l’économie a l’ambition de décrire et d’expliquer toute une partie du fonctionnement des sociétés humaines; de ce fait, l’homme est au centre de la réflexion économique, l’homme avec toutes ses aspirations plus ou moins bien révélées, l’homme à la fois objet et sujet de cette démarche. Or les aspirations de l’homme, son comportement social ne sont pas toujours aisément réductibles à des chiffres, que l’on se place au niveau de l’individu et de sa perception de l’environnement économique ou qu’on observe des groupes (plus ou moins larges) de personnes.Cette opposition, voire cette apparence de contradiction, entre les buts et les moyens ne doit évidemment pas être poussée trop loin. On peut à ce stade suggérer deux types de réponses. D’un point de vue historique, les diverses théories économiques sont nées et se sont développées à des époques où toutes les sociétés humaines, même les plus développées économiquement, étaient confrontées à des situations de pénurie: le progrès qualitatif des conditions de vie pouvait être étroitement associé à l’augmentation quantitative de la satisfaction des besoins. On notera d’ailleurs que, si cela n’est plus totalement vrai pour les sociétés humaines les plus industrialisées, les situations de pénurie en ressources les plus nécessaires à la vie humaine subsistent sur une bonne partie de la terre. Indépendamment de l’aspect historique, l’appréciation purement qualitative des phénomènes économiques rencontre vite ses limites; elle se réduit en effet à une formulation de type «tout ou rien» («oui» ou «non», «est» ou «n’est pas») ou, en cas de comparaison avec un phénomène de référence, à une formulation ternaire («plus», «égal» ou «moins»). C’est un peu juste pour décrire, même grossièrement, la variété et la complexité des relations économiques: le recours aux possibilités infinies des échelles numériques, c’est-à-dire le détour par la mesure quantitative, s’impose vite comme une nécessité.2. La neutralité de la mesureMesure et conceptLa mesure économique, même au niveau le plus élémentaire, suppose l’identification préalable de l’objet à mesurer, grâce à un ensemble de caractéristiques objectives qui permettent de le définir sans ambiguïté, donc de le retrouver dans le temps et dans l’espace. L’objet, pour être mesuré, est d’abord conceptualisé, interprété de façon nécessairement abstraite.Cette démarche n’est pas particulière à l’économie: les mesures physiques, par exemple, s’appuient tout autant sur des interprétations abstraites de ce que nous percevons (forces, masses, tensions, températures...). La difficulté naît de ce que le concept économique est souvent désigné par un mot d’usage courant: prix, salaire, vente, consommation sont associés à des réalités quotidiennes. Il peut en résulter l’idée que les concepts désignés par ces mots sont l’expression directe d’une réalité intangible, évidente. Par là, la mesure qui s’appuie sur des concepts aussi évidents prend un aspect de vérité indiscutable, absolue.Mais il faut admettre que chaque concept est une construction abstraite, résultant de l’interprétation du fait économique brut constaté. Cette interprétation repose, de façon plus ou moins explicite, sur une vision théorique des mécanismes économiques, dont la logique propre détermine la définition du concept mesuré. Sans englober l’ensemble du domaine économique, cette vision théorique peut n’être qu’embryonnaire, partielle: elle n’en existe pas moins comme facteur déterminant dans la définition du concept.Si l’on veut, par exemple, mesurer l’évolution des salaires, on utilise un terme auquel la plupart des gens associeront spontanément un élément précis de leur vie quotidienne. Rien ne garantit a priori que ces interprétations individuelles seront identiques. En effet, on peut retenir au moins deux définitions du salaire: le salaire brut, qui comprend les sommes effectivement perçues par le salarié et les cotisations sociales à la charge des salariés (ces dernières étant versées directement par l’employeur aux caisses de Sécurité sociale), ou bien le salaire net, qui ne comprend que les sommes effectivement perçues par le salarié (après déduction des cotisations sociales). Si l’on s’intéresse en priorité au comportement des salariés et que l’on considère qu’un élément important de ce comportement est le revenu dont ils peuvent effectivement disposer pour consommer ou épargner, on choisira de mesurer les salaires nets; si l’on donne en revanche la priorité au comportement des employeurs et à l’influence des charges salariales sur ce comportement, il sera préférable de mesurer des salaires bruts.Le choix de l’unité de mesureUne fois défini le concept dont la mesure doit fournir une expression quantitative, il faut choisir l’unité dans laquelle on opérera. Cette demande peut sembler saugrenue, tant l’unité de mesure paraît évidente: dans l’exemple des salaires cité plus haut, l’unité monétaire apparaît incontestable. Ce cas n’est pas unique, ce qui est normal dans un système économique très largement dominé par l’échange marchand. Il ne faudrait pas, pour autant, en déduire que toute mesure en économie se fait à l’aune de l’unité monétaire.De bons contre-exemples peuvent être trouvés dans l’analyse de la sphère productrice de l’économie. Ainsi, la production d’électricité peut aussi bien être mesurée en kilowattheures qu’en francs. On comprend que le choix de l’unité de mesure ne peut être fait au hasard: il est cohérent avec la logique d’observation de la production électrique. Si on l’observe dans le cadre d’une étude sur la rentabilité financière d’une centrale électrique, on la mesurera en francs; si au contraire la mesure est faite pour apprécier l’adéquation entre l’offre et la demande d’électricité basse tension dans une région donnée, la référence au nombre de kilowattheures produits sera sans doute plus pertinente.On retrouve là une problématique proche de celle qui est esquissée à propos de la définition conceptuelle de l’objet à mesurer. À l’explication de la vision théorique qui sous-tend la définition de l’objet répond une certaine logique d’observation qui guide le choix de l’unité de mesure.Choix de l’unité de mesure commune à plusieurs objets: problèmes d’agrégationUn des avantages de la mesure quantitative est de permettre des comparaisons à la fois larges et précises. Cet avantage n’existe réellement que si l’on est capable de choisir, pour plusieurs objets, une même unité de mesure. À un instant donné, la production d’une mine de charbon et celle d’une centrale électrique ne peuvent être comparées si l’une est mesurée en tonnes et l’autre en kilowattheures; il faudra bien trouver une unité de mesure commune à ces deux productions pour les comparer.La nécessité d’une unité de mesure commune à plusieurs objets économiques s’impose lorsqu’on veut donner une mesure synthétique d’un ensemble d’objets dont on reconnaît la diversité. Ainsi quelle unité commune et pertinente doit-on choisir pour quantifier la production industrielle, la consommation totale des Français, la main-d’œuvre employée dans tous les secteurs de l’économie (toutes qualifications confondues)? La démarche liée au choix de cette unité de mesure commune renvoie en principe à l’idée de mise en équivalence. À travers l’unité commune, on vise à classer des êtres économiques différents sur une même échelle de valeur. Si deux objets différents se voient associés au même nombre, cela signifie explicitement qu’ils sont jugés équivalents. Mais équivalents par rapport à quoi? Le choix d’une seule unité de mesure permettant d’agréger des objets économiques différents dépend étroitement de la logique d’observation retenue. La relation de mise en équivalence qui associe à chaque objet élémentaire un nombre sur une même échelle de valeur dépend du choix de l’observateur; elle doit naturellement être cohérente avec le cadre conceptuel et les buts de l’observation.Dans de nombreux cas (mais pas dans tous), l’unité de mesure choisie résume la relation de mise en équivalence à laquelle elle est associée. Ainsi, mesurer des produits variés par leur valeur sur le marché renvoie directement à une équivalence selon la valeur d’échange; prendre la tonne d’équivalent pétrole remplacera cette valeur d’échange par la capacité (ou la valeur) énergétique; donner des mêmes produits une mesure unique en heures de travail suppose que l’on considère comme déterminante la quantité de travail contenue dans chaque produit et que c’est elle qui permet de les mettre en équivalence.3. Les formes usuelles de mesure en économieLa réflexion sur la neutralité de la mesure a conduit à privilégier une forme particulière de mesure en économie. Il est vrai que c’est aussi l’une des plus fréquemment pratiquées: la mesure du niveau absolu d’un phénomène économique revient à quantifier, par rapport à une unité de mesure pertinente, l’état de ce phénomène dans un intervalle de temps et à l’intérieur d’un espace donné. C’est cette forme de mesure qui a servi jusqu’ici de référence à la plupart des exemples cités.La mesure du niveau absolu se conçoit aisément; elle constitue le plus souvent la première étape de toute démarche de quantification en économie et, en même temps, elle n’est jamais utilisée de façon isolée. On peut dire, par exemple, que le produit intérieur brut de la France s’est élevé en 1980 à 2 755 milliards de francs; si l’on en reste là, l’information contenue dans ce chiffre est pratiquement nulle. L’information et, avec elle, les premières possibilités d’analyse viennent de la comparaison avec d’autres grandeurs économiques.On peut par exemple examiner les valeurs successives que prend le même phénomène économique au cours du temps. Ainsi, on comparera le produit intérieur brut français de 1980 à celui de 1979. Si on trouve pour ce dernier une valeur de 2 439 milliards de francs, on en déduit une augmentation de 316 milliards en un an. Là encore, l’information reste limitée: on connaît le niveau absolu de la variation mais on ne sait comment la situer. D’où le recours à une mesure relative de la variation: on ne se contente plus de la mesurer en soi, on la compare en même temps avec le point de départ de la comparaison. Dans notre exemple, on trouve: 316/2439 = 0,13, ou encore, en pourcentage, 13 p. 100 d’augmentation. On aboutit plus rapidement à la même information en faisant directement le rapport des deux grandeurs que l’on veut comparer: 2 755/2 439 = 1,13. Ce rapport est la forme la plus simple de ce qu’on appelle un indice d’évolution . Il revient en fait à un changement d’échelle: l’unité de mesure n’est plus le milliard de francs, c’est la valeur du produit intérieur brut en 1979. Par rapport à ce nouvel étalon de référence, le produit intérieur brut de 1980 vaut 1,13; on retrouve bien l’augmentation de 0,13, soit 13 p. 100. Une autre présentation de l’indice, beaucoup plus fréquente, correspond à une unité de mesure égale au centième de la grandeur de référence; en pratique, cela revient à multiplier par 100 l’indice que l’on vient de trouver, visualisant ainsi un peu mieux l’augmentation relative (exprimée en pourcentage): on dit alors que l’indice d’évolution du produit intérieur brut, base 100 en 1979, vaut 113 en 1980. On peut généraliser cette démarche, en prenant n’importe quel intervalle de temps et n’importe quelle année de référence.Les indices d’évolution les plus complexes procèdent tous, au niveau élémentaire, de cette démarche qui consiste à faire le rapport des niveaux absolus atteints par une grandeur économique, de manière à en mesurer l’évolution relative. Il en va de même lorsqu’on veut mettre en relation diverses grandeurs économiques observées à un instant donné (ou dans un intervalle de temps donné). Supposons, par exemple, qu’on s’intéresse à la part des salariés dans la distribution de la richesse nouvelle créée par la production nationale; on choisit pour cela, d’une part, les salaires nets (après déduction des cotisations de sécurité sociale) et, d’autre part, le produit intérieur brut (mesure globale de la valeur nouvelle créée par l’appareil de production national). En 1980, on a mesuré que les salaires nets reçus par les personnes vivant en France s’élevaient à 968 milliards qui représentent 968/2 755 = 0,35, soit en pourcentage 35 p. 100. On peut bien sûr aller plus loin, et calculer de la même façon la part qui revient aux cotisations sociales, aux impôts sur les produits ou sur la production, ainsi qu’aux propriétaires des entreprises productrices. La succession des pourcentages correspondants, dont le total est égal à 100, donne, non pas en niveau absolu, mais sous forme d’une structure, la première distribution du revenu tiré de la production. Cette description est souvent plus parlante que la simple juxtaposition des valeurs absolues des salaires nets, des cotisations sociales, des impôts, etc.La dimension temporelle peut également intervenir dans l’analyse des structures: leur évolution au cours du temps fournit en effet une information importante. Si l’on revient à l’exemple des salaires nets considérés comme une part de la distribution du produit intérieur brut, sachant que les salaires nets sont évalués à 852 milliards en 1979 (et le produit intérieur brut à 2 439 milliards), la structure de répartition du produit intérieur brut donne, pour les salaires nets, 852/2 439 = 0,35, ou 35 p. 100. Ainsi, la part du produit intérieur brut attribuée aux salariés (après déduction des cotisations sociales) est donc restée stable entre 1979 et 1980. On peut observer qu’on aurait obtenu la même information en comparant les indices d’évolution respectifs des salaires nets et du produit intérieur brut. Pour les salaires nets, l’indice d’évolution de 1979 à 1980, base 100 en 1979, vaut 113,6 en 1980; on rappelle que l’indice d’évolution du produit intérieur brut, base 100 en 1979, vaut 113 en 1980. Si les salaires nets ont augmenté un tout petit peu plus vite que le produit intérieur brut, cette différence d’évolution n’est pas suffisante pour se refléter dans l’évolution de la structure de répartition du produit intérieur brut. Cela est à relier également à la précision des calculs: si le pourcentage des salaires nets dans le produit intérieur brut avait été calculé avec une décimale, on aurait trouvé une progression très faible (34,9 p. 100 à 35,1 p. 100); il convient dans ce cas de s’interroger sur le caractère significatif d’une telle variation qui peut n’être qu’illusoire, compte tenu de la précision que l’on peut attribuer aux mesures en niveau absolu du produit intérieur brut et des salaires nets.4. La mesure en unités monétairesLes sociétés contemporaines dont on cherche à décrire puis à analyser le fonctionnement économique sont toutes largement monétarisées. La monnaie y est le support essentiel des transactions entre les acteurs de la vie économique; c’est en monnaie, le plus souvent, que s’exprime la valeur des stocks de biens ou de créances présents dans l’économie. D’où l’importance des mesures en termes monétaires dans l’analyse économique. Toutefois, ce recours à un seul étalon de référence ne dispense pas de résoudre de délicats problèmes de valorisation. En outre, le «tout monétaire» peut gêner la compréhension de certains phénomènes socio-économiques et l’on peut trouver avantage à remplacer la monnaie par d’autres unités de référence.Problèmes de valorisationLa circulation des biens ou des services disponibles dans l’économie se traduit en général par une suite de transactions commerciales au cours desquelles fournisseur et acheteur se mettent d’accord sur le prix de la marchandise ou du service objet de la transaction. Le prix correspond ici à la valeur monétaire d’une unité physique de l’objet échangé. La mesure, à l’échelle des individus (micro-économique) ou d’une partie de l’économie nationale (macro-économique), est donc le plus souvent fondée sur la référence aux «prix du marché», c’est-à-dire les prix effectivement pratiqués dans les transactions observées: il n’y a là, apparemment, rien de plus objectif.Le malheur est que la notion de prix du marché change sensiblement de contenu tout au long du circuit économique qui va, par exemple, du producteur au consommateur. Prenons l’exemple du livre: quel est son prix sur le marché à un instant donné? Pour le producteur (qu’on assimilera ici à l’éditeur), le prix le plus pertinent, celui qui détermine son comportement économique, est le prix hors-taxes qui sert de base aux transactions entre lui et les libraires; c’est de ce prix en effet que dépend l’équilibre financier de sa gestion. Pour le lecteur, le prix sur le marché est tout naturellement celui auquel il se procure le livre. On comprend que ces deux prix du marché sont différents. On peut imaginer que ce prix, dans l’optique du producteur, est de 40 francs tandis qu’il est, dans l’optique de l’acquéreur final, de 65 francs; la différence correspond aux taxes supportées par l’acquéreur final et à la marge commerciale prélevée par le libraire. Il est donc inévitable, pour mesurer de façon pertinente les flux effectifs d’offre et de demande de livres, de valoriser l’offre par l’éditeur au prix de 40 francs, la demande finale par les lecteurs au prix de 65 francs, et de montrer l’ajustement entre ces deux valeurs par le jeu de la fiscalité indirecte et des marges commerciales.Si l’on passe des transactions effectives (donc en principe observables) à des stocks de biens ne faisant pas l’objet, au moment de la mesure, de transactions entre unités économiques, la valorisation monétaire soulève des problèmes plus importants. On ne peut espérer mieux que l’imputation d’une valeur, calculée par analogie avec des valeurs monétaires effectivement observées sur des objets économiquement semblables à celui qu’on veut mesurer.Ainsi, une machine peut être valorisée de multiples façons. On peut se référer à la dernière transaction dont elle a fait l’objet, c’est-à-dire à son prix d’achat lorsqu’elle est entrée dans l’entreprise. Cette valorisation «au coût historique» a l’avantage d’être objective et vérifiable. Dans sa version complète, la valeur d’achat initiale est amputée chaque année d’un «amortissement» qui tient compte de l’usure liée au fonctionnement de la machine, de telle façon que la valeur résiduelle soit égale à zéro au bout de la durée de vie normale de la machine. Ce système de valorisation est utilisé très largement (on peut même le considérer comme la règle générale) par la comptabilité d’entreprise en France. La même machine peut aussi être valorisée au coût de remplacement; dans ce cas, on lui impute comme valeur le prix que devrait payer son propriétaire s’il devait immédiatement la remplacer par une machine absolument identique (usure comprise). On peut encore lui attribuer comme valeur la somme actualisée des revenus futurs qu’elle procurera à son propriétaire. Cette méthode consiste à estimer, pour toute la durée de vie de la machine, le revenu supplémentaire que l’industriel en tirera chaque année. Bien qu’exprimés en monnaie, tous ces revenus futurs ne sont pas directement comparables; il faut tenir compte de la variation probable de pouvoir d’achat de la monnaie entre le moment de la mesure et celui où le revenu sera disponible, ainsi que de l’attitude de l’industriel envers l’avenir (il peut trouver moins intéressant d’attendre cinq ans pour recevoir 500 francs que de disposer immédiatement de 400 francs). L’actualisation consiste à affecter chaque revenu futur d’un coefficient tenant compte de ces phénomènes, de manière à les rendre tous comparables, donc additionnables, au moment où l’on veut valoriser la machine. Il ne faut pas oublier, enfin, qu’on peut être amené à valoriser la machine «à la casse», c’est-à-dire au prix que l’on pourrait en tirer si la poursuite de son exploitation comme outil de production cessait d’être rentable.Ces modes de valorisation, si divers, correspondent à des ensembles d’hypothèses économiques tout aussi divers. Le coût historique, objectif et vérifiable, correspond à une situation économique dans laquelle les prix sont, en moyenne, très stables. Il est clair qu’à une époque où sévit l’inflation cette méthode déforme l’image du patrimoine économique, en sous-estimant d’autant plus les éléments de ce patrimoine qu’ils sont plus anciens. Le coût de remplacement correspond à l’hypothèse de continuité de l’activité économique; de plus, son application à l’échelle macro-économique ajoute une hypothèse: on admet en effet que, si tous les propriétaires du même type de machine avaient à la remplacer en même temps, le coût qu’ils supporteraient serait le même que dans le cas d’une transaction isolée. On conçoit, pourtant, que le volume des transactions, par rapport au stock disponible, a quelque influence sur le niveau des prix. Malgré cet inconvénient, la méthode du coût de remplacement est souvent considérée comme la plus pertinente, aussi bien pour l’entreprise qui veut réévaluer l’inventaire de son patrimoine que pour les statisticiens qui cherchent à mesurer la valeur du patrimoine économique, à l’échelle de l’économie nationale. La valorisation par la somme des revenus futurs actualisés est sans doute celle qui a les références théoriques les plus explicites: elle est dans la droite ligne de la théorie micro-économique classique du comportement de la firme et du choix des investissements. Sa principale difficulté d’application vient de l’actualisation: la détermination du taux d’actualisation ne peut éviter une part d’arbitraire, même pour une machine prise isolément. Lorsqu’on passe à un niveau plus global (groupe d’entreprises, secteur d’activité, ensemble de l’économie nationale), l’arbitraire introduit par l’actualisation augmente rapidement et remet en cause l’objectivité de la mesure. Pour être utilisable, le résultat doit être considéré comme normatif, c’est-à-dire lié aux objectifs assignés au développement de l’économie pour les années futures. Enfin, la valeur à la casse suppose l’arrêt de l’activité économique pour les biens ou les unités productrices concernées.Mesure des variations au cours du temps: indices de prix et de volumeMesurer les objets économiques en termes monétaires présente d’incontestables avantages, dès lors qu’on a résolu les problèmes de valorisation évoqués plus haut. On est en particulier assuré de pouvoir mettre en équivalence, en se fondant sur leur valeur marchande, les objets les plus divers et d’offrir, en les additionnant, des visions plus ou moins synthétiques des phénomènes économiques. La contrepartie de cet avantage est, d’une certaine manière, un appauvrissement de l’information: à chaque objet, à chaque phénomène économique, on associe sa valeur d’échange sur le marché; or la valeur d’échange résulte, le plus souvent, de la combinaison d’un prix et d’une quantité, ce qui signifie que la valorisation monétaire contracte deux informations en une seule.Cette perte relative d’information apparaît surtout lorsqu’on veut mesurer l’évolution temporelle de telle ou telle grandeur économique. Si l’on constate que la production d’une mine de charbon a augmenté de 10 p. 100 en un an, aux prix du marché, on ne sait pas si c’est le tonnage extrait qui a dépassé de 10 p. 100 celui de l’année précédente, les prix du charbon à la production n’ayant pas varié, ou si le tonnage extrait n’a pas varié, tandis que les prix à la production du charbon augmentaient de 10 p. 100, ou bien encore si les 10 p. 100 constatés résultent d’une variation de x p. 100 du tonnage extrait et d’une variation de y p. 100 des prix à la production.En admettant que le charbon soit un produit parfaitement homogène dans ses caractéristiques physiques et économiques (et qu’en particulier il n’ait qu’un seul prix à la production), la solution est assez simple. Observant que la valeur est le produit de la quantité par le prix, à tout moment, on peut écrire:Donc:Comme les indices d’évolution, pour les grandeurs élémentaires, sont simplement le rapport de ces grandeurs, on démontre ainsi que l’indice de valeur peut être partagé en deux termes dont il est le produit, un indice de quantité et un indice de prix.Bien entendu, cet exemple simplifie beaucoup les choses. Certes, pour des grandeurs économiques plus complexes, résultant de l’agrégation de grandeurs élémentaires exprimées en termes monétaires, le partage de l’indice d’évolution des valeurs entre ce qui est dû aux variations de quantité et ce qui vient des variations de prix est moins évident. Pourtant, la démarche est fondamentalement la même, à ceci près qu’il faut bien tenir compte du fait qu’on travaille ici sur un ensemble de grandeurs élémentaires (qui constitue un «agrégat»).Trois facteurs peuvent faire varier la valeur monétaire d’un agrégat: la variation des quantités, la variation des prix et la modification de structure interne de l’agrégat. Par exemple, la valeur de la production industrielle française peut augmenter parce qu’on produit plus d’acier, plus de plastique, plus d’automobiles, etc.; ou bien parce que les prix de l’acier, du plastique, des automobiles ont augmenté; ou encore parce que, à tonnage global inchangé, la structure de la production d’acier s’est modifiée, les produits sidérurgiques les plus chers représentant une part plus importante au détriment des produits les moins chers. Bien entendu, la valeur de la production industrielle a pu augmenter sous l’effet conjoint de ces trois facteurs.Dans la pratique, on ne rencontre pas (sauf exception rarissime et ponctuelle) de partage des indices d’évolution des valeurs selon ces trois composantes: quantités, prix, structures. La raison principale, outre le désir assez général de conserver une analogie formelle avec la dichotomie prix/quantité des grandeurs élémentaires, réside sans doute dans l’imprécision de la frontière entre les variations de quantités et les variations de structure. Chaque produit élémentaire, tel qu’on peut le percevoir directement à l’échelle micro-économique, peut en effet être caractérisé par un très grand nombre de données physiques. Si les moyens d’observation permettent de repérer toutes ces données, chaque produit élémentaire interviendra avec sa quantité et son prix dans la mesure d’une grandeur économique qui le contient (telle la production industrielle évoquée ci-dessus); la variation de valeur de cette grandeur pourra être partagée assez simplement entre la variation de quantités des produits élémentaires et la variation de leurs prix. Malheureusement, cette situation est exceptionnelle: dans une économie moderne, distinguer tous les produits élémentaires revient à dresser des listes de dizaines de milliers de rubriques que les instruments d’observation statistique sont en général impuissants à saisir dans toute leur diversité. Dès qu’on passe à un niveau, même semi-global, d’observation économique, on doit se contenter de listes de quelques centaines, voire de quelques milliers, d’objets. Dans ces conditions, chaque «produit» est en fait le regroupement d’objets plus ou moins différents les uns des autres; les variations de valeur mesurées résultent alors des variations de quantité et de prix de ces objets élémentaires, ainsi que des modifications de répartition de ces objets à l’intérieur du produit mesuré. Si l’on ajoute à cette difficulté le fait que des produits, absolument identiques pour l’ensemble de leurs caractéristiques physiques, peuvent être économiquement différents, en ce sens qu’ils peuvent s’échanger à des prix différents sur des marchés séparés (qu’on songe par exemple à la différence entre les prix pratiqués à l’exportation et sur le marché intérieur), on conçoit la difficulté qu’il y a à partager une variation de valeur globale en variations de quantités et variations de prix sans tenir compte des variations de structure à l’intérieur de la grandeur économique mesurée.Dans la pratique, les contraintes techniques vont en grande partie imposer les choix à faire. La connaissance statistique de tous les objets élémentaires, définis par un jeu complet de caractères technico-économiques, n’existe pas. La mesure des effets de structure, distincte et précise, est en général impossible. La démarche adoptée pour partager la variation de valeur en variation de quantités et de prix sera alors déterminante: si l’on accorde la priorité aux quantités des produits effectivement observés, sans tenir compte des éventuelles variations de structure à l’intérieur de chaque produit, la variation de prix complémentaire sera en fait une variation de «valeur moyenne», résultant des variations de prix élémentaires et des effets de structure internes aux produits observés. Si, au contraire, on veut s’attacher à une mesure précise des variations de prix élémentaires, il lui sera associée une variation des quantités élémentaires intégrant toutes les modifications de structure internes aux produits observés.C’est en général la seconde démarche qui est choisie dans la plupart des mesures économiques globales. Pour souligner le fait que les variations de quantité n’apparaissent pas isolément mais qu’elles intègrent des effets de structure tels que «dans les achats de voitures particulières, la part des petites cylindrées a augmenté au détriment des moyennes et grosses cylindrées», on ne parle plus de quantités mais de volumes. Ainsi, l’équation de base dont on était parti:devient:Lorsqu’on raisonne ainsi sur des mesures globales se rapportant à des ensembles d’objets économiques, les indices de valeur, de volume et de prix prennent des formes plus complexes que celles déjà vues pour un seul objet. Si l’on a deux objets dont on veut analyser la variation de valeur totale entre l’année 0 et l’année 1, on peut écrire:– indice de valeur:Ce qu’on peut écrire:Le premier terme peut être interprété comme l’indice (fictif) de valeur qu’on aurait observé si les prix n’avaient pas varié entre les deux années; c’est en quelque sorte la part de la variation de valeur qu’on peut attribuer aux variations des quantités: cette part constitue l’indice de volume . Le second terme, qu’on peut interpréter comme l’indice de valeur qu’on aurait observé si les quantités avaient été constamment égales au niveau atteint l’année 1, reflète l’effet des variations de prix à quantités élémentaires constantes: c’est l’indice de prix .En généralisant à un nombre quelconque de produits, on obtient les formules suivantes:On notera que l’indice de volume associe aux quantités comparées les prix de l’année par rapport à laquelle on fait la comparaison. Cette formule d’indice, dans laquelle la structure de référence vient de l’année de base de la comparaison, est appelée formule de Laspeyres . À l’inverse, l’indice de prix mentionné ci-dessus utilise, pour additionner les prix, les quantités de l’année que l’on compare à l’année de base. Cette référence à l’année courante de la comparaison est caractéristique de la formule de Paasche . On notera que la liaison voulue entre indices de valeur, de volume et de prix implique, si l’un des indices est de type Laspeyres, que l’autre soit de type Paasche. En revanche, rien n’imposait a priori que l’indice de volume soit de Laspeyres. On aurait pu imaginer un indice de volume de type Paasche et un indice de prix de type Laspeyres: la cohérence aurait été aussi bien respectée. Cependant, lorsqu’on étudie une variation de valeur et qu’on cherche à en éliminer tout ce qui provient d’une pure variation de prix, il est intellectuellement plus satisfaisant de déboucher sur une variation de valeur «à prix constants», telle qu’on la trouve dans l’indice de volume de type Laspeyres. C’est pourquoi, lorsqu’on analyse l’évolution au cours du temps de grandeurs économiques globales ou semi-globales, la pratique la plus générale consiste à mesurer les variations de volume par des indices de type Laspeyres et les variations de prix par des indices de type Paasche.En revanche, lorsque la contrainte de cohérence entre valeur, volume et prix ne joue plus avec autant de rigueur, on est beaucoup plus libre de choisir telle ou telle formule. Pour des raisons pratiques (il est plus facile de se référer à une année passée que de chercher une structure de référence dans la période présente), les indices de type Laspeyres sont les plus fréquemment utilisés. On peut toutefois leur reprocher d’être fondés sur une structure passée, que l’écoulement du temps rend de moins en moins crédible. Une variante, destinée à pallier cet inconvénient, consiste à changer périodiquement la période de base de la comparaison, pour actualiser la structure de référence; on arrive ainsi à une succession d’indices couvrant de courts intervalles de temps, que l’on multiplie les uns par les autres pour remonter dans le passé jusqu’à la date de référence désirée. Cette technique, appelée chaîne de Laspeyres , est utilisée en France pour construire l’indice des prix de détail.Les comparaisons dans l’espace: parités de pouvoir d’achatUn inconvénient souvent ignoré de la mesure en termes monétaires est qu’elle rend difficile les comparaisons entre zones géographiques n’ayant pas la même unité monétaire. Si une tonne de charbon constitue en principe le même objet économique en France et en Allemagne, comment comparer 1 000 deutsche Marks et 1 000 francs français de charbon? On peut bien sûr se référer au taux de change en vigueur, mais on voit très vite qu’on aboutira ainsi à une comparaison très grossièrement approximative. Les taux de change entre monnaies, s’ils reflètent pour partie les situations économiques intérieures des pays, résultent au moins autant (sinon plus) des mouvements internationaux de capitaux et de marchandises.C’est pourquoi, depuis le début des années soixante, des travaux ont été entrepris pour construire des indicateurs plus précis permettant une comparaison économique des monnaies. L’idée de départ est assez simple: pour comparer les monnaies de deux pays, on compare directement leur pouvoir d’achat en mesurant ce que coûte, dans chaque pays, le même «panier» de produits. Par exemple, dans une comparaison entre la France et l’Allemagne fédérale, si l’on trouve qu’il faut 3 000 francs pour acheter ces produits en France et qu’il faut 1 000 deutsche Marks pour les acheter en Allemagne, on en conclut que l’unité de compte allemande vaut trois fois plus que l’unité de compte française, en termes de pouvoir d’achat. Ainsi, pour comparer la masse de la consommation allemande avec la masse de la consommation française, il faudra multiplier par trois la valeur de la consommation allemande exprimée en deutsche Marks, telle que nous la donnent les statistiques allemandes, et comparer le résultat avec la consommation que donnent les statistiques françaises. Ce rapport de un à trois entre la monnaie allemande et la monnaie française est appelé parité de pouvoir d’achat entre le deutsche Mark et le franc français.Le calcul des parités de pouvoir d’achat est organisé sur le plan mondial par le projet de comparaison internationale des Nations unies, auquel participent plus de cent pays. Les contributions des pays de l’Union européenne sont coordonnées par l’Office statistique de l’Union européenne. Pour ces pays, les comparaisons de prix sont faites sur mille produits de consommation et trois cents biens d’équipement.On le voit, il s’agit d’opérations d’envergure, dont le coût n’est pas mince. Mais les résultats obtenus permettent d’ores et déjà de comparer, avec plus d’exactitude que ne le permettraient les taux de change officiels entre monnaies, les performances économiques globales de pays situés dans toutes les parties du monde: non seulement la France et ses partenaires de l’Union européenne, mais aussi les États-Unis, le Canada, la Pologne, l’Australie, le Venezuela, le Kenya, le Japon, l’Inde, etc.5. Mesure en unités non monétairesTous les phénomènes économiques ne peuvent pas nécessairement se mesurer en unités monétaires. La place que la monnaie occupe dans le fonctionnement de l’économie ne doit pas conduire à un «impérialisme» absurde de la mesure en unités monétaires. Quelques exemples simples l’attestent.Si l’on s’intéresse à un produit relativement homogène (une matière première par exemple) et qu’il n’est pas nécessaire de le mettre en relation avec d’autres produits, c’est le plus souvent dans l’unité physique la plus appropriée que seront faites les mesures économiques correspondantes. La production charbonnière est, certes, une affaire de main-d’œuvre, de machines, de rentabilité financière, mais elle se mesure d’abord en millions de tonnes de charbon extrait des mines. De la même façon, l’évolution économique des transports dans notre pays s’appréciera au moins autant en voyageurs-kilomètres (ou en tonnes-kilomètres pour les marchandises) qu’en millions de francs.Il y a plus: l’économie décrit un aspect du fonctionnement des sociétés humaines; c’est l’homme qui actionne la production, qui consomme, qui échange. Une grande part des phénomènes économiques ne peut être mesurée autrement qu’en nombre de personnes ou en nombre d’heures passées par des personnes à faire ceci ou cela. L’analyse de la production serait incomplète sans une mesure du nombre d’heures travaillées ou du nombre de personnes employées dans les diverses branches de l’économie. Les problèmes de l’emploi pourraient-ils être analysés sans une mesure du nombre de chômeurs, du nombre d’heures perdues pour cause de chômage technique?On peut aller plus loin dans cette direction et se demander si le travail humain n’est pas un étalon de référence tout aussi efficace que l’unité monétaire pour la mesure globale de grandeurs économiques variées. La mesure de la production, des échanges, du patrimoine productif se réfère, on l’a vu, aux prix des produits sur les marchés; ne pourrait-elle aussi bien se référer aux nombres d’heures de travail que représentent ces mêmes produits? C’est ce qu’on appelle la mesure en équivalent travail.Un tel choix dans l’étalon de mesure des échanges économiques correspond à une certaine philosophie de la valeur, qui rejette la valeur d’échange monétaire comme seul critère de classement (et donc d’appréciation) des produits et des activités économiques. On peut aller plus loin et considérer que ce choix revient implicitement à écarter la théorie économique dite «marginaliste», avec ses références à une rationalité supposée des acteurs économiques échangeant des produits sur un marché où la concurrence peut jouer parfaitement.La démarche à suivre pour établir des mesures économiques en équivalent travail est assez ardue. Il est en effet nécessaire de connaître non seulement la quantité de travail mise en jeu pour fabriquer un produit, mais aussi les quantités de travail entrant dans la production des matières premières et des machines servant à fabriquer ce produit.Des mesures de l’ensemble des transactions économiques en équivalent travail ont déjà été réalisées. Elles ont montré que l’application idéale de la démarche soulevait des problèmes importants qui n’ont pas encore reçu de solutions entièrement satisfaisantes:– le travail est une denrée hétérogène; comment additionner (c’est-à-dire mettre en équivalence) le travail des ouvriers qualifiés et non qualifiés, des employés de bureau, des cadres? La solution le plus généralement retenue consiste à contourner le problème en raisonnant sur des nombres de travailleurs (considérés comme tous équivalents, quelle que soit leur qualification) ou, au mieux, sur des nombres d’heures travaillées (considérées elles aussi comme toutes équivalentes);– une partie des produits qui circulent dans notre économie est importée de l’étranger; comment connaître la quantité de travail contenue dans ces produits importés? Les solutions (approximatives) le plus couramment retenues consistent soit à admettre que les produits importés contiennent la même quantité de travail que les produits nationaux de même nature, soit à postuler qu’il y a une équivalence moyenne entre les exportations et les importations (c’est-à-dire que l’économie nationale a tendance à exporter autant de travail qu’elle en importe).Malgré le caractère approximatif que de telles conventions confèrent aux mesures actuelles en équivalent travail, celles-ci ne sont pas dénuées d’intérêt. Elles permettent de montrer très concrètement la liaison entre l’emploi et l’activité économique, de proposer une quantification (même grossière) des incidences du développement de telle ou telle activité économique sur la création d’emplois. Sans pouvoir prétendre remplacer l’unité monétaire comme étalon de référence prépondérant dans la mesure économique, l’équivalent travail peut en être, à bien des égards, un contrepoint utile.
Encyclopédie Universelle. 2012.